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Penn ar Bed - extrait du nro 169

Les limicoles

Sophie Le Dréan-Quenec'hdu, Roger Mahéo, Patrice Boret
Le littoral français représente une zone privilégiée sur la voie de migration est-Atlantique, et la baie du Mont Saint-Michel, en particulier, constitue un site de première importance pour les limicoles ; zone d'hivernage d'importance internationale, escale migratoire, zone d'estivage et de mue. L'exploitation complémentaire de divers habitats implique des propositions de protection et de gestion à l'échelle de la diversité spatiale de la baie.

Bécasseaux sanderling

Les limicoles sont de petits échassiers fréquentant préférentiellement les zones humides au sens de la définition globale donnée dans la convention de Ramsar. Les limicoles du Paléarctique occidental sont typiquement de grands voyageurs, migrateurs au long cours depuis les régions du Groenland et de la Sibérie au nord, qu'ils fréquentent pendant la saison de reproduction (mai à août), jusqu'aux régions tempérées méridionales et intertropicales où ils passent la saison hivernale (septembre à mars). Les déplacements migratoires s'effectuent en étapes successives de milliers de kilomètres entrecoupées d'escales où les oiseaux s'arrêtent pour se reposer et reconstituer des réserves.

Protocole d'étude

La grande dispersion des oiseaux en recherche de nourriture sur l'immensité de l'estran d'une part, le déplacement des refuges de pleine mer selon le coefficient de marée d'autre part, constituent des contraintes importantes pour quantifier l'avifaune aquatique qui fréquente la baie.

Une approche globale du fonctionnement ornithologique fut menée par Boret et Mahéo (convention de recherche n°81-79 ONC/Université de Rennes I) ; le suivi précis de tous les déplacements de limicoles en rapport avec le cycle de marée et en fonction des coefficients de marée a permis de mettre au point un protocole de comptage pour le dénombrement exhaustif de chaque espèce de limicoles. Il a également permis de cartographier l'occupation de l'espace au cours du rythme tidal. Le rythme d'activité des limicoles est en effet étroitement lié au cycle des marées, avec recherche de nourriture (petits invertébrés ; vers, mollusques, crustacés) dès que le jusant découvre l'estran, et repos au moment des pleines mers.

Le suivi numérique des limicoles au cours de deux cycles annuels complets (1980/1981 et 1981/1982), sur la base de dénombrements bi-mensuels a ainsi permis de caractériser le rôle de la baie du Mont Saint-Michel en tant qu'habitat pour les limicoles migrateurs, hivernants et estivants. Un recensement annuel au mois de janvier est régulièrement effectué depuis en domaine littoral par Boret et Mahéo jusqu'en 1992, Le Dréan-Quénec'hdu, les ornithologues du Groupe Ornithologique Normand et de la section ornithologie de la SEPNB Ille et Vilaine ensuite. Le détail des résultats peut être consulté dans Boret et al. (1981), Le Dréan-Quénec'hdu (1994 a et b), Le Dréan-Quénec'hdu et al. (1994), Le Dréan-Quénec'hdu et al. (1995 a), Mahéo, (1978/1995). En revanche, aucun suivi systématique n'a été effectué pour la fréquentation du domaine continental par les limicoles de la baie.

Une zone d'hivernage

La baie du Mont Saint-Michel est principalement une zone d'hivernage pour les limicoles, avec un pic d'abondance au mois de janvier. En moyenne (de 1985 à 1994), plus de 54 000 limicoles fréquentent la baie en janvier, ce qui représente plus de 2% de la population du nord-ouest de l'Europe et environ 12% de la population littorale française (Smit et Piersma, 1989 et Mahéo, 1981/1994). La baie du Mont Saint Michel est numériquement la zone d'hivernage du littoral français la plus importante pour les limicoles ; par ordre décroissant, on trouve ensuite la baie de Moëze-Oléron (plus de 33 000 limicoles en moyenne) et le golfe du Morbihan (plus de 29 000 limicoles en moyenne).

Une zone d'hivernage d'importance internationale

Les effectifs de bécasseau variable Calidris alpina, huîtrier pie Haematopus ostralegus, pluvier argenté Pluvialis squatarola, barges à queue noire et rousse Limosa limosa et L. lapponica, bécasseau maubèche Calidris canutus dépassent en moyenne les niveaux d'importance internationale définis par la convention de Ramsar. Le bécasseau variable est le plus abondant avec plus de la moitié des effectifs totaux de limicoles de la baie et 12 % des effectifs nationaux. Le littoral français, avec sept zones d'importance internationale (baie du Mont Saint-Michel, golfe du Morbihan, baie de Bourgneuf, baie de l'Aiguillon, île de Ré, Moëze Oléron et bassin d'Arcachon) occupe une place importante pour l'hivernage de cette espèce en Europe (21% des effectifs européens en France). Les effectifs d'huîtrier pie représentent 20% des effectifs de limicoles de la baie du Mont Saint-Michel. Avec 28% des effectifs nationaux, la baie est le seul site d'importance internationale pour l'hivernage de cette espèce en France. Le pluvier argenté représente 5% des effectifs de limicoles de la baie qui accueille 13 % des effectifs nationaux en janvier. Le golfe du Morbihan, la baie de Bourgneuf et la baie de Moëze-Oléron sont également des zones d'importance internationale pour cette espèce. Les barges à queue noire hivernant en baie du Mont Saint-Michel (2% des effectifs de limicoles de la baie) appartiennent à la population qui se reproduit en Islande. Avec 20% des effectifs nationaux, la baie est la deuxième zone d'importance internationale française pour l'hivernage de cette espèce après la baie de l'Aiguillon (plus de 50% des effectifs nationaux). Les effectifs hivernaux de barges rousses (2% des effectifs de la baie) ont considérablement diminué depuis 1980/1982. La baie du Mont Saint-Michel (20% de la population nationale hivernante) et la baie de Bourgneuf sont les deux seules zones d'importance internationale pour l'hivernage de cette espèce en France. Les bécasseaux maubèche hivernant en baie (8% des effectifs de limicoles de la baie) appartiennent à la population qui se reproduit au Groenland et à l'extrême Nord canadien. Il existe en France 3 zones d'importance internationale pour l'hivernage de cette espèce :¤|; la baie du Mont Saint-Michel avec 27% des effectifs nationaux, la baie de l'Aiguillon et la baie de Moëze-Oléron. Les effectifs de courlis cendré dépassent le seuil d'importance internationale depuis 1993.

Une zone d'hivernage d'importance nationale

La baie du Mont Saint-Michel est une zone d'importance nationale pour l'hivernage du courlis cendré Numenius arquata, du grand gravelot Charadrius hiaticula et du bécasseau sanderling Calidris alba. Le vanneau huppé hivernait massivement en partie continentale de la baie dans la décennie 80 (2 000 à 6 000 individus). Ces effectifs ont semble-t-il diminué en raison des transformations du milieu des années 87-88. (Les prairies sont toujours préférées en période de gel nocturne, Boret et al. (1981), et les cultures sont utilisées en absence de dérangement). Le pluvier doré est observé presque exclusivement sur prairies. Ses effectifs atteignaient, au début des années 80, 1 200 à 2 500 individus. Ils sont devenus très irréguliers et nettement moindres en moyenne (souvent inférieurs à 100), au cours de la dernière décennie, pour les mêmes raisons. Le chevalier combattant était également bien représenté jusqu'en 1987-88 avec 450 à 500 individus, présents le jour dans les polders (cultures ou prairies) et la nuit sur les bancs sablo-vaseux à l'Ouest du Mont Saint-Michel. Les effectifs ont chuté très rapidement après 1987, pour se stabiliser depuis à quelques individus isolés sur ces polders.

Une zone de refuge climatique

Pendant les hivers 1984/1985 et 1986/1987 particulièrement rigoureux, les effectifs de limicoles ont considérablement augmenté en baie du Mont Saint-Michel pour atteindre respectivement plus de 61 000 et plus de 74 000 oiseaux. Les effets d'un hiver froid sont multiples ; gel de l'estran interdisant tout accès à la nourriture, réduction de l'activité et de la disponibilité des proies (due à un enfoncement plus profond) et augmentation des besoins énergétiques (Davidson, 1981).

En 1985 et plus significativement en 1987, une vague de froid s'est développée à partir du nord de l'Europe ; beaucoup de limicoles ont dû quitter leurs quartiers d'hiver traditionnels de la mer du nord vers des zones plus clémentes. La baie du Mont Saint-Michel représente un refuge climatique particulièrement pour les huîtriers pie et les courlis cendrés, mais également pour les bécasseaux variables, les barges à queue noire et rousse et dans une moindre mesure pour les bécasseaux maubèche hivernant plus au nord, en particulier en mer des Wadden (400 000 limicoles en mer des Wadden allemande pendant les hivers doux, 150 000 pendant les hivers froids, Prokosch, 1984). Les observations montrent que la mortalité hivernale en baie pendant ces deux hivers a été particulièrement élevée du fait de l'extrême vulnérabilité des oiseaux affaiblis par la faim et le déplacement. Seul le pluvier argenté ne semble pas se conformer à cette règle, probablement en raison de sa distribution hivernale plus méridionale et de son comportement alimentaire, également sensible à la pluie et au vent. Le pluvier argenté a en effet un comportement alimentaire de type visuel :¤|; il scrute la surface de la vase à partir d'une position d'observation pour détecter les signaux émis par les proies potentielles. Ce type de chasse se trouve donc perturbé par tout ce qui est susceptible de modifier la visibilité à la surface de la vase, c'est-à-dire la pluie et le vent.

Une escale migratoire

La baie du Mont Saint-Michel constitue également une étape migratoire en particulier pour le pluvier argenté et le grand gravelot mais également pour le courlis cendré et les barges à queue noire et rousse. C'est d'ailleurs au cours des migrations que la richesse spécifique est maximale avec 20 à 22 espèces en septembre pour seulement 11 à 15 en janvier. Pendant ces escales migratoires les oiseaux se reposent et reconstituent leurs réserves énergétiques qui leurs permettront d'atteindre soit leur zone de reproduction dans l'Arctique au printemps, soit leur zone d'hivernage intertropicale en automne. Les oiseaux se révèlent particulièrement vulnérables pendant ces périodes, la nécessité de se reposer et de s'alimenter primant sur la vigilance. Les zones d'escales migratoires apparaissent de plus en plus comme des maillons essentiels pour la pérennité des espèces.

Une zone d'estivage de mue et de reproduction

Le bécasseau variable, l'huîtrier pie, le pluvier argenté et le courlis cendré fréquentent la baie pendant toute l'année avec toutefois un minimum pendant l'été. La plupart des oiseaux estivants sont des juvéniles. Les effectifs de barges à queue noire présentent un pic d'abondance dans les quinze premiers jours d'août ; ce pic correspond au stationnement d'oiseaux de la population européenne, qui utilisent la baie comme zone de mue avant de rejoindre leurs quartiers d'hiver dans le Sahel. La présence de ces oiseaux en été n'a pas fait l'objet de suivis depuis l'étude de Boret et al. (1981).

La baie du Mont Saint-Michel est un lieu de nidification pour le gravelot à collier interrompu Charadrius alexandrinus. On dénombre de 21 à 23 couples, répartis entre St Benoit des Ondes et la Chapelle Ste Anne (Bargain et al. 1997), ce qui représente environ 10% de la population régionale. Le gravelot à collier interrompu est une espèce particulièrement menacée en période de reproduction (voir répartition spatiale) ; elle est citée dans le livre rouge des espèces menacées en France (espèce vulnérable) et dans la convention de Bonn.

Occupation de l'espace pendant l'hiver

Mises à part les conditions particulières de la reproduction, les limicoles côtiers exploitent l'estran en fonction des marées et adoptent un rythme d'activité lié aux marées ; regroupement sur des reposoirs à marée haute (activité de sommeil essentiellement), dispersion en recherche de nourriture à basse mer au fur et mesure que les vasières deviennent accessibles au jusant. Pour certains d'entre eux, l'opportunité alimentaire ou de repos sur le domaine terrestre (marais continentaux et polders) est également exploitée. Le vanneau huppé fréquente presque exclusivement la partie continentale, également largement préférée par le pluvier doré. Ces deux espèces ont payé un lourd tribu aux transformations du milieu.

Du fait de son importance, l'hivernage est la période la mieux étudiée en baie du Mont Saint-Michel (Boret et al. 1981 ; Le Dréan-Quénec'hdu, 1994 a et b ; Le Dréan-Quénec'hdu et al. 1994 ; Le Dréan-Quénec'hdu et al. 1995 b).

Distribution générale

A marée de morte-eau, les limicoles se reposent sur le rivage, en bordure du flot. Pour les marées moyennes, ils privilégient un certain nombre de reposoirs ; les plus importantes concentrations se trouvent sur les herbus et les bancs coquilliers autour du Vivier sur Mer ou sur le sable dans la partie normande de la baie (plage de Dragey principalement). L'importance de ces derniers reposoirs a considérablement diminué depuis 1982. Pour les forts coefficients (plus de 90), l'espace restant disponible à marée haute diminuant, les oiseaux se concentrent sur les herbus de part et d'autre du Mont Saint-Michel et sur les bancs coquilliers de Saint Benoit des Ondes à la Chapelle Sainte Anne. Lors des très grandes marées, le flot recouvre tout l'espace maritime (y compris les herbus), ce qui interdit toute possibilité de pose ; les limicoles sont alors contraints de passer une bonne partie des deux heures de pleine mer en vol.

En alimentation, les limicoles se dispersent sur l'estran de Cancale à la Chapelle Sainte Anne pour la partie bretonne de la baie, des plages de Dragey au Sud de Granville pour la partie normande. Dans la partie bretonne, les oiseaux gagnent les zones d'alimentation situées à l'ouest de leur reposoir. Dans la partie normande, on ne met pas en évidence de sens général à la dispersion. La partie estuarienne de la baie (vasières de part et d'autre du Mont) n'est que peu utilisée pour l'alimentation pendant l'hiver. Lors des périodes d'inondation des marais continentaux (Sougeal, à moindre degré maintenant Roz-Landrieux dans le marais de Dol-Châteauneuf), des espèces comme la Barge à queue noire peuvent s'y alimenter en grand nombre, pour une courte période, quelles que soient les conditions de marée.

Distribution spécifique

Le bécasseau variable est le limicole le plus largement réparti dans la baie ; on le trouve en alimentation sur toutes les zones décrites précédemment, la partie bretonne accueillant plus de 90% des bécasseaux de la baie. Les milieux fréquentés sont caractérisés par des sédiments fins avec communautés à Macoma balthica (mollusque bivalve) et à Haustoridés (Crustacés). Pour les forts coefficients, les oiseaux se regroupent sur seulement quatre reposoirs ; un sur le banc coquillier du Vivier sur mer, deux dans les herbus de la Chapelle Sainte Anne et un dans les herbus à l'est du Mont Saint-Michel. Pour les coefficients moyens, deux reposoirs accueillent plus de 4 000 oiseaux dans la partie bretonne. Au jusant, les mouvements vers les zones d'alimentation se font progressivement ; les oiseaux se déplacent par groupe de 1 000 à 2 000 avec des arrêts successifs sur des " pré-zones d'alimentation " avant d'atteindre la zone principale de recherche de nourriture où ils se dispersent à mesure que la mer descend. Le pluvier argenté fréquente globalement le même habitat que le bécasseau variable avec des densités nettement moins importantes. Au cours des déplacements reposoirs-zones d'alimentation, il suit le bécasseau variable mais privilégie les zones de moindre densité de bécasseaux.

Le courlis cendré fréquente une large zone allant de Cancale à la Chapelle Sainte Anne et de la Roche Torin à la pointe de Champeaux. On ne compte que trois reposoirs de forts coefficients, sur les bancs coquilliers et les herbus de part et d'autre du Mont Saint-Michel. On peut identifier trois reposoirs majeurs accueillant plus de 500 oiseaux ; deux en bordure des herbus du Vivier sur mer, un en face de la Roche Torin. Ce dernier reposoir est aussi utilisé par des Courlis " continentaux " qui se nourrissent le jour sur les prairies bordant la Sée et la Sélune (jusqu'à plus de 5 kilomètres de l'embouchure) et se regroupent au crépuscule en milieu maritime où ils passent la nuit (dortoir). Ces courlis " continentaux " sont particulièrement sensibles au froid puisque leurs zones d'alimentation gèlent avant les zones intertidales. En fait, il existe une succession de petits reposoirs et zones d'alimentation, accueillant chacun moins d'une centaine d'oiseaux. Les mouvements des reposoirs vers les zones d'alimentation ont lieu par étape :¤|; certains oiseaux commencent à s'alimenter (pré-zone d'alimentation), d'autres restent au repos (post-reposoirs). Les courlis se dispersent de façon complètement aléatoire sur la zone d'alimentation, par petits groupes de dix à vingt, et ne semblent privilégier aucun schéma particulier.

L'huîtrier pie fréquente le secteur des bouchots, le banc des hermelles et la plage de Dragey. Ces zones sont caractérisées par la présence de moules (gisements naturels ou sub-spontanés à partir des bouchots), de coques et de Macoma balthica, proies principales des huîtriers pie.

Les barges à queue noire s'alimentent, en domaine maritime, préférentiellement sur la vasière du Vivier-sur-mer, entre l'herbu et les bouchots. Les reposoirs sont situés en bordure d'herbu soit à l'est du Vivier, soit au niveau de la Chapelle Sainte-Anne. Les zones d'alimentation et les reposoirs ont considérablement diminué en surface et en nombre depuis 1982. Les mouvements des reposoirs vers les zones d'alimentation ont lieu en groupe important pouvant inclure toute la population. Cette espèce, très grégaire, s'alimente en groupe compact sur les niveaux moyens de l'estran.

Les barges rousses en recherche de nourriture fréquentent essentiellement la plage sableuse du Sud de Granville, entre Saint-Pair et Jullouville. Pour les faibles coefficients (inférieurs à 50), le reposoir est situé en haut de la plage. Pour les coefficients supérieurs, il est situé dans les herbus à l'ouest du Mont Saint-Michel, soit à plus de 15 km de la zone d'alimentation. Cette distance élevée constitue une exception en baie du Mont Saint-Michel puisque les autres reposoirs sont généralement localisés à moins de 2 km de la zone d'alimentation. Les barges arrivent sur leur zone d'alimentation 2 heures après la marée haute, et restent groupées (" post-reposoir "). Puis elles se dispersent progressivement en alimentation au bord de l'eau. La zone d'alimentation était située sur la plage de Dragey en 1980-82. Les observations faites par le GON ont montré que le changement s'est opéré vers 1985.

Le bécasseau maubèche fréquente deux secteurs ; une zone discontinue de Cancale à la Chapelle Sainte-Anne d'une part, et la plage de Saint-Pair d'autre part. Les principaux reposoirs (plus de 600 oiseaux) sont situés à la Chapelle Sainte- Anne, dans les herbus ouest du Mont Saint-Michel et sur la plage de Saint-Pair. En fait, ces deux derniers reposoirs n'existent pas simultanément ; le reposoir de Saint-Pair est occupé aux périodes de marée de morte-eau, l'herbu du Mont aux périodes de grandes marées. La zone d'alimentation et les reposoirs ont beaucoup régressé depuis 1982, en particulier du fait de l'abandon de la zone de Dragey. Dans la partie bretonne de la baie, les bécasseaux maubèche gagnent la zone d'alimentation la plus proche à l'ouest de leur reposoir, puis se dispersent sur l'ensemble de la vasière de la même manière que les bécasseaux variables (arrêt sur des " pré-zones d'alimentation ").

Variations de l'occupation de l'espace en hiver

La dynamique d'occupation de l'espace varie en fonction des espèces. Les gros limicoles ont tendance à avoir des phases d'alimentation plus courtes que les petites espèces, avec des pauses à marée basse (Zwart et al. 1990, Le Dréan-Quénec'hdu et al. en préparation a). Elles gagnent donc les zones d'alimentation plus tardivement. Le choix de la zone d'alimentation dépend aussi du régime alimentaire de chaque espèce. L'huîtrier pie s'alimente sur les zones riches en coques et en moules qui constituent ses proies préférées (Goss Custard et al. 1977 ; Triplet, 1984 ; le Dréan-Quénec'hdu, 1994). Les barges à queue noire préfèrent les sédiments vaseux riches en polychètes, alors que les barges rousses préfèrent les sédiments sableux riches en bivalves et crustacés (Engelmoer, 1980 ; Evans, 1994). Enfin, l'occupation de l'espace varie en fonction des contraintes liées au dérangement. Ce dérangement peut être intra ou inter-spécifique. Ainsi, le bécasseau variable s'alimente en groupe relativement dense, alors que la technique d'alimentation du pluvier argenté (de type visuel) nécessite des densités d'oiseaux beaucoup plus faibles (Pienkowski, 1979). Le dérangement peut également être dû aux activités humaines ; il existe une différence de sensibilité en fonction des espèces (Davidson et Rothwell, 1993). Le bécasseau variable ou l'huîtrier pie sont des espèces peu sensibles au dérangement en général :¤|; ils sont largement répartis dans la baie, y compris dans les bouchots. Au contraire, les barges et les courlis y sont très sensibles. L'augmentation de la pression de dérangement sur la plage de Dragey (entraînement de chevaux de course, pression de chasse, tourisme...) semble être à l'origine de la désaffection de cette zone d'alimentation par tous les limicoles en général, et par les barges rousses et les bécasseaux maubèche particulièrement. Ces deux dernières espèces ont dû chercher une zone d'alimentation alternative dans la même direction de dispersion, mais elles continuent d'utiliser le même reposoir, qui est le plus proche pour les coefficients moyens et forts.

Les barges à queue noire utilisent également des zones d'alimentation continentales (zones humides encore présentes à Roz-Landrieux, à Sougeal, au marais de la Folie), pourvu que les marais soient suffisamment humides et en absence de dérangement. Il s'agit d'un bon exemple de la complémentarité des milieux terrestres et littoraux.

Pendant les migrations, la mue et la reproduction

Les oiseaux se concentrent préférentiellement sur les herbus et les vasières de part et d'autre du Mont Saint-Michel. Ces zones sont relativement peu dérangées à ces périodes de l'année, et permettent donc aux limicoles de se reposer ou d'effectuer leur mue. Ce changement de l'occupation de l'espace " baie du Mont Saint- Michel " par rapport à l'hiver peut s'expliquer soit par une modification des facteurs de dérangement sur les zones utilisées en hiver, soit par un changement des besoins des oiseaux et/ou par un changement des ressources alimentaires.

Les marais continentaux peuvent accueillir en période pré-nuptiale de forts contingents de barges à queue noire (jusqu'à 600 à 900 individus dans le marais de Sougeal), de Vanneaux, courlis, pluviers dorés (entre 1 000 et 1 500 en mars 1996 à Sougeal, Beaufils, comm. or.), chevaliers combattants (jusqu'à 300 à 400 individus à Sougeal). Des effectifs de limicoles peuvent également être temporairement significatifs dans d'autres marais continentaux de la baie (La Brétèche, Vains, …).

La nidification du gravelot à collier interrompu a lieu sur les cordons coquilliers de la partie bretonne de la baie (secteur Hirel-Cherrueix) et sur la plage de Dragey. La pérennité de cette espèce en tant que nicheur est donc étroitement liée à la stabilité des cordons dunaires et au dérangement sur les plages.

Contraintes sur l'habitat

L'étude de la répartition spatiale des limicoles montre que la baie du Mont Saint-Michel constitue une unité fonctionnelle englobant les reposoirs et les zones d'alimentation, avec à la fois des milieux continentaux et des milieux littoraux. Ces différentes entités sont indispensables à la pérennité des stationnements. Au sein de cette unité, il existe une opposition entre la grande dispersion des limicoles en recherche de nourriture, de Cancale à Granville (sauf aux abords du Mont), et la concentration des oiseaux sur seulement quelques reposoirs de pleine mer, ou sur ce qui subsiste des marais continentaux inondables, voire de quelques parcelles dans les polders.

Protection des reposoirs hivernaux

Actuellement il n'existe aucune protection des reposoirs hivernaux, en particulier des refuges de pleine mer lors des coefficients moyens et forts, très peu nombreux donc très vulnérables, (aucun de ces reposoirs n'est situé dans la réserve de chasse maritime). Or c'est à marée haute que la pression de chasse est maximale, particulièrement pour les plus forts coefficients dans la partie normande de la baie (plage de Dragey) et la partie bretonne (bancs situés du Vivier à Cherrueix). La pérennité des stationnements de limicoles en baie du Mont Saint-Michel apparaît donc étroitement liée à la protection de ces reposoirs, voire de la zone d'alimentation de Dragey comme le montre la désaffection significative de cette zone tant pour l'alimentation que pour le reposoir.

Protection des bancs coquilliers.

Le prélèvement de sable par les agriculteurs, en particulier sur les bancs coquilliers, est une pratique très ancienne. Le sable sert à amender le sol notamment pour la culture du chou-fleur et permet ainsi de lutter contre le " pourrissement " de ces cultures. Ces prélèvements deviennent de plus en plus massifs du fait de l'utilisation de tracteurs et de pelleteuses et non plus de brouettes et de pelles comme autrefois. Il s'ensuit un risque très important de disparition des bancs coquilliers qui comme nous l'avons montré précédemment, supportent les reposoirs de marée de vives eaux ainsi que les zones de nidification du Gravelot à collier interrompu. Ces prélèvements méritent donc d'être limités ou mieux répartis. Ces bancs apparaissent également comme des zones de stationnement de nombreux véhicules (en particulier camping-car), au printemps et en été, c'est à dire pendant la période de reproduction du Gravelot à collier interrompu. Outre le dérangement évident, la présence de ces véhicules entraîne un danger réel pour la stabilité des bancs.

Protection des marais continentaux

Jouant un rôle complémentaire pour l'alimentation ou le repos de certaines espèces, les marais tels que Dol-Châteauneuf, Sougeal, La Folie, Dragey, les vallées de la Sée et de la Sélune, méritent une préservation plus stricte qu'elle ne l'a été jusqu'à présent. Les assèchements et transformations diverses qui les ont affectés (infrastructures, intensification agricole) n'ont pas été surveillés, et n'ont pas fait l'objet de mesures compensatoires. La désignation de la baie en zone RAMSAR plaide en faveur d'une vigilance accrue et d'un programme de réhabilitation zone par zone.

Extension des territoires pour la conchyliculture et le tourisme

Différents projets d'aménagement ostréicoles et touristiques de l'estran en particulier dans la zone du Vivier-sur-mer existent. Ce secteur étant inclus dans la zone d'alimentation privilégiée en hiver, il est clair que toute modification de surface de l'estran altérerait d'autant la zone d'alimentation des limicoles. Les activités type char à voile, même si elles n'ont pas lieu en hiver entraînent une modification du sédiment, et en particulier un durcissement préjudiciable à l'activité alimentaire des limicoles (Le Dréan-Quénec'hdu et al. en préparation b).

Pérenniser le stationnement des limicoles.

La baie du Mont Saint-Michel, désignée comme zone Ramsar depuis octobre 1994, est identifiée comme zone importante pour la Conservation des Oiseaux (ZICO). Le périmètre de la réserve de chasse maritime est une zone de protection spéciale (directive oiseau de la CEE, 79/409/EC).

Dans le cadre d'une démarche de gestion des espèces et des habitats fréquentés, au vu de la répartition spatiale et des menaces qui pèsent sur l'habitat, on peut émettre plusieurs propositions visant à pérenniser les stationnements de limicoles en baie du Mont Saint-Michel ;

1) Amélioration des réserves existantes ; création d'une réserve de chasse maritime à Cherrueix-Sainte-Anne, extension de la ZPS.

2) zonage d'un périmètre d'extraction du sable coquillier.

3) protection des bancs par un arrêté de Protection du Biotope.

4) réhabilitation des zones humides continentales par une gestion du niveau d'eau plus favorable aux limicoles.

5) réhabilitation de parcelles extensives dans les polders en arrière de la réserve de chasse maritime (prairies permanentes, en particulier, mais aussi cultures non travaillées l'hiver) avec maintien d'un niveau d'eau minimum dans les fossés. n

Remerciements


Ce travail, initié dans le cadre de la convention N°81-79 ONC/Université de Rennes 1, n'aurait pu se réaliser sans la collaboration active des ornithologues du Groupe Ornithologique Normand (section Manche), de la SEPNB (section Ille et Vilaine), du Laboratoire d'Evolution des Systèmes Naturels et Modifiés, du réseau BIROE/France ; que tous trouvent ici l'expression de nos remerciements. Quelques additifs synthétiques, relatifs aux milieux continentaux et aux limicoles les caractérisant, ont été inclus par Michel DANAIS sur la base de diverses sources de données.

Cette étude est incluse dans le contrat CEE n°EV4V-0172F-CDB.

Références

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DAVIDSON N.C., ROTHWELL P.I. 1993 - Human disturbance to waterfowl on estuaries : conservation and coastal management implication of current knowledge. Wader study group bulletin, 68, special issue, p.97-105.

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